L’Évangile selon saint Luc (2022)
Commentaire de Jean-Noël Aletti
Cette somme singulière représente plus qu’un commentaire ou une approche exclusivement narrative. L’histoire de ce succès éditorial a été mouvementée. L’ample projet en deux tomes a été réduit à un seul volume. Il reste d’une qualité de haute vulgarisation avec un accent sur l’interprétation, sans le texte grec, avec peu de notes techniques, sans bibliographie développée outre mesure.
Le résultat constitue un matériau scientifique, brut et accessible, avec certes un jargon pointu d’analyse textuel mais aussi un lexique à ce propos. Il est établi ici que cet évangile reprend bien le genre ancien de biographie, appliqué à un héros souffrant ; le portrait de l’auteur, proche de Paul, s’en différencie en ne reprenant ni sa théologie paradoxale de la Croix ni sa théologie de la justification par la foi seule sans les œuvres. De même Luc est celui qui insiste le moins sur la qualité de fils de Dieu.
La présentation en introduction expose le projet du troisième évangile, les destinataires, les sources, la composition du texte et les développements récents de son exégèse.
L’idée n’est pas de reprendre l’ensemble des critiques textuelles passées mais de souligner l’arrière-monde biblique et grec constituant les briques de base de l’objet littéraire selon saint Luc. Ce dernier apparait connaître parfaitement les modèles bibliques, notamment la Septante, les modèles littéraires comme les chreia (argumentation) avec les rationes (trois types de preuves dont image-parabole ou l’analogie, synkrisis).
Le genre narratif d’une « bio » est ici réinvesti grâce à la typologie prophétique, en particulier éliaque et éliséenne. C’est très net pour les récits d’enfance et de la passion.
Nous pouvons aussi noter un parallèle avec le livre de Jérémie (plus lié à l’évangile de Matthieu pour souligner le thème du rejet) où la vie du prophète est brouillée par une série d’oracles rendant difficile la lecture suivie. Ici les paraboles fonctionnent comme des oracles. Pour Matthieu, le rejet est le signe du mal, pour Luc, le rejet est le signe que Jésus est un prophète.
L’originalité de l’ouvrage se manifeste par la recherche des modèles culturels sous-jacents : ainsi le mauvais gérant renvoie à Caton l’Ancien (De agricultura) au sujet de la figure de l’intendant. De même Jésus sur les eaux renvoie à un récit de spectre. Ajoutons à cela que Luc est un conteur de génie, ainsi de l’histoire d’un père et de ses deux fils ou de la passion, entre intrigue de résolution et intrigue de révélation. Au moment de la passion, la reconnaissance du héros, innocent, marque la finalité du récit dans son ensemble.
Au total, 110 chapitres sont bâtis avec des découpes d’analyse : indication des versets, texte en français, étude du genre, comparaison, composition et sens, argumentaire, raison d’être, description de l’intrigue, interprétation, thèmes, personnages, description de la christologie, épilogoi ou conclusion.
Un exemple parlant est le chapitre 41, où Jean-Noël Aletti distingue la visée du voyage vers Jérusalem et l’entrée de Jésus dans le Temple, soulignant également un voyage d’une autre nature, à travers les paraboles, avec une finalité de la section Lc 9-51-19,44 « plus discursive que narrative » : christologique, pédagogique, missionnaire et éthique.
Emmanuel de Clercq
Revue Prêtres Diocésains – N° 1587 – Juin-Juillet 2023 p. 274-275