Congrès 2022 – Metz

Quand la Bible parle avec violence : que faire des textes violents dans la réflexion théologique et pastorale ?

De manière peut-être quelque peu utopique mais néanmoins ardemment souhaitée, les religions, quelles qu’elles soient, prônent un monde où la paix règne et où il fait bon vivre ensemble. Que l’on pense, dans le domaine biblique, aux prophètes, en particulier Isaïe et Michée, ou au nouveau Testament, force est de constater que la violence habite trop souvent les textes fondateurs des grandes religions, au risque qu’ils deviennent des lieux porteurs de fanatisme et de dogmatisme et d’alimenter un certain repli identitaire. On peut, dès lors, comprendre qu’il peut être difficile pour un lecteur contemporain – qu’il soit ou non croyant – de prendre en compte ces textes particuliers dans le cadre d’une réflexion plus large sur lui-même, la société ou le monde, ou simplement de les lire sereinement, sans les rejeter ou en faire une caricature. Apparaissent ainsi des groupes de lecteurs qui réagissent avec une forme de naïveté, voire de simplisme par rapport à ces textes exigeants et dérangeants. Ce sont, d’une part, des lecteurs non croyants, qui rejettent en bloc les textes fondateurs, et taxent les croyants et les religieux d’idéologues. Ce sont, d’autre part, des lecteurs croyants qui, rejetant la violence exprimée dans ces textes normatifs, n’en gardent qu’une version expurgée, présentant ainsi une vision plutôt angélique de leur religion et/ou des textes qui la fondent. Dans un cas comme dans l’autre, la question fondamentale du texte comme producteur de sens est évacuée. Ces positions antithétiques peuvent, en partie, être nourries par la méconnaissance des textes fondateurs, ainsi que par l’ignorance des raisons pour lesquelles la violence s’exprime dans ces textes. De fait, il s’agit là d’une réalité anthropologique majeure, autour de laquelle se jouent des enjeux socio-politiques touchant au vivre ensemble et au désir de paix et de justice qui lui sont nécessaires. Il serait donc curieux que des textes aussi fondamentaux évacuent purement et simplement la question.

Au niveau sociologique et philosophique, les travaux d’auteurs comme M. Bloch et R. Girard ont interrogé le rapport entre violence et religieux et y ont vu un lien structurel, au cœur duquel le sacrifice tient lieu d’exutoire rituel pour exclure la violence du champ social (Girard) ou pour la légitimer au plan politique (Bloch). Ce dernier a, du reste, également montré que la question peut être clairement nuancée à l’intérieur d’un groupe ou d’un peuple : celui-ci, en situation de grande difficulté, peut analyser et critiquer les textes qui fondent ses croyances pour les comprendre autrement.

Dans le domaine des études bibliques, cette question a aussi été amplement creusée, tant du point de vue historique que littéraire ou théologique. On a pu ainsi amplement montrer que ces textes sont des constructions historiques, empreintes d’une vision juridique et politique particulière, des émanations d’une culture située dans le temps et dans l’espace. Il est dès lors fondamental de connaître au mieux cette culture pour en comprendre les expressions, même lorsqu’il s’agit de violence. Acquérir les notions de l’histoire et de l’archéologie est ainsi un élément essentiel pour pouvoir contextualiser au mieux ces textes et les interpréter afin de ne pas en faire un dogme qui finit toujours par instrumentaliser les textes. À côté de cette contextualisation historique indispensable, une autre l’est tout autant qui prend en compte la manière dont ces textes représentent l’humain et son rapport à Dieu dans l’expression d’une littérature particulière. La manière dont l’humain croyant pense et dit sa foi par le biais de l’art narratif et rhétorique qui s’y déploie pourra ainsi être honorée.

Quelle que soit la méthodologie exégétique adoptée, il semble évident que ces textes ne délivrent pas un message « clé en main » mais mettent en place pour tenter de canaliser cette réalité souvent envahissante, une sorte de pédagogie qui vise la dénoncer et à la subvertir de l’intérieur. En effet si les textes fondateurs font la part belle à cette réalité humaine, c’est peut-être aussi pour prendre distance avec elle et essayer ainsi de la comprendre en la racontant. Raconter deviendrait donc une première étape dans l’interprétation et la critique nécessaire de la violence, qu’elle soit individuelle ou collective, attribuée à l’humain ou à Dieu. Raconter est une manière de contextualiser la violence et peut-être aussi de lui résister. Cela demande bien évidemment aussi une contextualisation et une interprétation de la part du lecteur qui, aujourd’hui, se trouve confronté à ces textes, qu’il soit ou non croyant. Ce n’est que de cette façon, en prenant au sérieux la violence exprimée de diverses manières, que le lecteur pourra la penser, sans la rejeter d’emblée, ni la caricaturer ou s’en dédouaner à moindre coût. Prise au sérieux, la violence racontée, comme en miroir, pourra dès lors interroger la violence même du lecteur et de la société dans laquelle il vit, une violence qu’il peut lui-même nourrir, bien que très souvent de manière inconsciente. Telle est probablement la voie de la paix, d’une société plus juste et harmonieuse qui aille au-delà du vœux pieu.

Il n’en demeure pas moins que la prise en compte de ces textes dans une réflexion « de terrain » est et reste difficile. C’est la raison pour laquelle ce congrès ouvrira à nouveau le dossier biblique, mais s’élargira également à la réflexion sur des textes violents dans d’autres traditions de pensée. Les conférences, exégétiques et théologiques, essayeront de montrer à quel point il est important de ne pas éliminer de tel textes de l’horizon de la réflexion anthropologique et croyante. Les séminaires/ateliers, possiblement menés en binôme – exégète et théologien/éthicien – auront pour but essentiel le travail sur texte, autour de questions plus concrètes.

Par le biais des conférences et des séminaires/ateliers le congrès tentera de répondre à quelques questions fondamentales, dont les suivantes ne sont qu’une illustration :

  • Question fondamentale s’il en est : comment identifier et qualifier un texte comme violent ? Certains textes bibliques qui ne semblent pas présenter de caractère violent a priori, peuvent cependant être porteurs d’une violence implicite, d’autant plus redoutable et sournoise qu’elle avance masquée, comme ce peut être le cas aux violences liées à des questions de genre, d’ethnie, de condition ou de situation sociale, d’orientations sexuelles, etc.
  • Peut-on expurger purement et simplement les textes fondateurs pour passer à côté d’une réalité anthropologique aussi fondamentale ?
  • De quelle manière la Bible, le Coran et d’autres textes fondateurs traversent et assument la violence ?
  • Comment intégrer ces textes violents dans une réflexion qui interroge à la fois la violence, l’enfermement et les étroitesses dont la politique, la justice, les positions de la communauté croyante, voire de la société elle-même, peuvent faire preuve ? Et comment faire en sorte que cette réflexion ne soit pas éthérée mais puisse avoir des répercussions concrètes ?
  • Si les textes fondateurs ont comme but principal de produire du sens, qu’en est-il du sens produit par les textes violents ?
  •  Comment se confronter à ce concept ambigu qu’est la violence dans un contexte particulier tout en respectant l’autre et la tradition dans laquelle il s’inscrit ?

Acte du Congrès à paraître bientôt


Bibliographie sélective et non exhaustive

 

Barbaglio G., Dieu est-il violent ? Une lecture des Écritures juives et chrétiennes (Parole de Dieu), Paris, 1994.

Beauchamp P. & Vasse D., La violence dans la Bible (Cahiers Évangile, 76), Paris, 1991.

Bloch M., La violence du religieux, Paris, 1997.

Burridge R.A. & Sacks J., Confronting Religious Violence. A Counternarrative, Wako, Tx, 2018.

Cazeaux J., Le refus de la guerre sainte. Josué, Juges et Ruth (Lectio Divina), Paris, 1998.

Dossier « Religions et violence », Projet. Revue du Ceras 281 (2004).

Gibert P., L’espérance de Caïn. La violence dans la Bible, Paris, 2002.

Girard R., La violence et le sacré, Paris, 1972.

Girard R., Le bouc émissaire, Paris, 1982.

Groupe Martin V (éd.), Violence (Regards croisés, 3), Louvain-la-Neuve, 2003.

Héritier F. (séminaire de), De la violence (Opus), Paris, 1996.

Héritier F. (séminaire de), De la violence II (Opus), Paris, 1999.

Lesch W. (éd.), Monothéisme et violence. Conférences de la fondation Sedes Sapientiae et de la faculté de théologie, Université catholique de Louvain, février-mars 2011 (Trajectoires, 24), Bruxelles, 2012.

Marguerat D. (éd.), Dieu est-il violent ?, Paris, 2008.

Römer T., Dieu obscur : cruauté, sexe et violence dans l’Ancien Testament (Essais Bibliques, 27), nouv. éd. rev. et augm., Genève, 2009.

Vande Kerkove J.-L. (éd.), Violence, justice et paix dans la Bible. Actes des deuxièmes Journées bibliques de Lubumbashi. 20-23 mars 2006 (Publications de l’Institut St François de Sales, 3), Lubumbashi, 2006.

Wénin A., La Bible ou la violence surmontée, Paris, 2008.

Wénin A., Pas seulement de pain… Violence et alliance dans la Bible (Lectio Divina), Paris, 2e éd. 2002.


** mardi 30 août 2022 **

15:0016:00 Accueil des participantsHall de l’UFR ALL – île du Saulcy
(voir plan – bâtiment 5a)
16:0016:30 Ouverture du congrès
Mots d’accueil du président de l’ACFEB, de la directrice du laboratoire Ecritures
16:3017:45 Conférence d’ouverture : « Et la terre se remplit de violence » (Gn 6,14). Apprendre à lire la violence avec les récits bibliques ?
André WENIN
17:4519:30 A.G. – ACFEB
19:3019:30 Repas libre

** mercredi 31 août 2022 **

08:3009:00 Accueil des participants
09:0010:00 Conférence : La violence dans la Bible : ambiguïté des mots, ubiquité des maux
Didier LUCIANI (UCLouvain)
10:0011:00 Conférence : Les auteurs juifs de l’Antiquité face à la violence des textes bibliques relatifs à la conquête de la Terre Promise
Katell BERTHELOT (CNRS)
11:0011:30 Pause
11:3012:45 Communications offertes, séances en parallèle
12:4514:30 Repas – Restaurant universitaire
14:3016:00 Ateliers de travail sur texte – séances en parallèle
Philippe Abadie, Quand le livre de Josué fait peur
Cyprien Comte, Babylone dans le livre de Jérémie, marteau de YHWH et objet de sa juste rétribution (cf. Jr 51,20-26)
Elena Di Pede et Brigitte Zaugg, La relecture dystopique de la Bible dans La servante écarlate de Margaret Atwood
Natalie Siffer, La violence de Dieu dans le livre des Actes à travers la mort infâme de l’impie
16:0016:30 Pause
16:3017:30 Conférence : La violence des interprétations exégétiques de Mt (en visio-conférence)
Sébastien DOANE (Université Laval – ACEBAC)
18:1521:30 Soirée Festive et culturelle (Musée de la Cour d’Or)

** jeudi 1 septembre 2022 **

Heures événement
08:3009:00 Accueil des participants
09:0010:00 Conférence : Au cœur de la violence, la non-violence (Ap 13,9-10)
Paulin POUCOUTA (Université Catholique d’Afrique Centrale)
10:0011:00 Conférence : La sacralisation de la violence aux débuts de l’islam. Étude à partir des guerres dites d’apostasie
Hela OUARDI (Université de Tunis – CNRS)
11:0011:30 Pause
11:3012:30 Comment lire les « pages obscures de la Bible ? » Faut-il les lire et comment les interpréter ?intervention de Mgr Carré
12:3014:15 Repas – Restaurant universitaire
14:1515:45 Ateliers de travail sur texte – séances en parallèle
Mehdi Azaiez, Quand le Coran parle avec violence
Jacques Descreux, Que faire de la violence de l’Apocalypse ?
Patrick Kipasa, Quand la parole se met au service de la violence (Genèse 39)
Françoise Laurent, Écrits de sagesse et textes violents ? Qohéleth
15:4516:00 Pause
16:0017:15 A.G. – ACFEB
17:1518:15 Promenade – Visite en ville jusqu’à l’Église Saint Maximin
18:1519:00 Prière œcuménique
19:3019:30 Repas festif en ville

vendredi 2 septembre 2022

08:3009:00 Accueil des participants
09:0010:00 Conférence : Le féminin au péril de sa métaphorisation : Alliance et violence symbolique
Anne-Marie PELLETIER
10:0010:30 Pause
10:3012:00 Table Ronde et débat conclusif
12:0016:30 12h départ pour Scy Chazelles, retour prévu à Metz autour de 16h00

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